Printemps d’un Loup Garou

Printemps d’un Loup-garou

Kali Wolf fuyait. Elle fuyait l’être tapi dans ses profondeurs ; ce qui la rendait différente, comme une protubérance l’empêchant de rentrer dans le moule de la race humaine. Elle leur ressemblait, marchait comme eux, parlait comme eux, mais Kali était une louve née femme : une sublime louve au pelage d’or et d’argent filant comme une flèche tirée par l’arc de la communauté humaine qui la rejetait, à travers la nature verdoyante, ses quatre pattes foulant la terre stérilisée par le froid. C’était la première fois que la fugueuse posait ses beaux yeux verts sur la forêt. Elle avait fait une erreur et sa punition était l’exil vers où elle se rendait de son plein gré, avec cependant une certaine joie. Les ronces lui arrachaient les poils par dizaine de touffes dans sa course effrénée vers l’avant. Les arbres semblaient être un refuge sûr où personne ne s’aventurerait. La louve dévalait des ravines, sautait au-dessus des ruisseaux, trempant le bout de ses pattes puissantes dans sa fuite constante. Les odeurs lui vinrent comme une libération. La pluie fine les avait aplatis au sol. Kali commença à haleter, se débattant autant avec les ronces qu’avec les senteurs de bois mouillé et des premières fleurs qui avaient éclos sur le sol humide encore sans parure. Les branches basses de cette forêt devenue en un instant hostile paraissaient vouloir la retenir, les arbres se répétaient, lui donnant l’impression de tourner en rond, de tomber toujours plus bas dans l’instinct animal avec lequel elle était née.

Soudain ses souvenirs refirent surface.

Il s’appelait Josh, le garçon qui avait découvert son secret, celui pour qui le cœur de la louve battait à en exploser.

C’était celui qui lui avait montré les mêmes yeux horrifiés que les parents de Kali à son adoption, ces yeux de dégoût qui hantaient ses rêves les plus profonds. Josh, l’humain qu’elle aimait tant, l’avait repoussée de façon théâtrale, presque comme s’il jouait la comédie, lorsqu’elle lui avait annoncé ce qu’elle était par amour pour lui. Un loup-garou. C’était la nature de la jeune femme devenue définitivement louve qui fuyait entre les buissons. Finalement rejeté des hommes, ce que la louve cherchait, c’était la liberté et, s’il y en avait, les siens : la liberté de chanter, de danser, celle d’être différente, de ne pas rentrer dans leur maudit moule, de ne plus tenter l’expérience pour s’abandonner à son penchant animal, de partir loin pour laisser les hommes derrière elle.

La liberté de rêver.

Rêver pour sortir de sa tristesse, éloigner ces yeux hargneux qui vous donnent l’impression d’appartenir à une catégorie de nuisibles. Rêver aux autres vies qu’elle aurait pu avoir. Rêver pour fuir, toujours plus loin dans ses profondeurs, dans celles de la forêt. Les arbres représentaient sa partie sauvage, comme une annexe à son corps, comme un bras invisible et immense dont Kali sentirait la présence. Soudain, sa patte arrière se prit dans une fougère et elle s’effondra. Allongée là, le museau dans la terre fraîche encore gorgée de l’odeur de la neige, la jeune louve pensa à tous ces humains qui font leur possible pour se ressembler alors que la nature les a tous créés différents, à tous ces gens qui pensent la même chose et à tous ces autres qui achètent ce qu’ils voient à la télévision ; tous embrigadés dans le système, aveuglés par les médias et les beaux discours.

Avec difficulté, Kali se releva, bravant le vent hurlant la détresse d’un hiver vaincu une nouvelle fois par le printemps, ce renouveau. Elle s’approcha d’une source et y but à petites lapées. L’eau qui coulait dans sa gorge lui redonna vie. Elle se remit aussitôt en route. Ses pattes soulevaient des amas de terre à chaque impact, les ronces lui ouvraient maintenant une voie vers la liberté  tant désirée, cadeau empoisonné qu’elle accepta avec plaisir.

Alors, sa longue chute débuta.

« Pourquoi je cours ? Je fuis… ? Mais quoi ? »

Autour de la louve, les oiseaux chantaient des mélodies depuis longtemps oubliées des hommes, les renardeaux hardis essayaient de rivaliser de vitesse avec les insectes peureux et les yeux ronds des chouettes sortis la saluer comme on salue un nouveau-né ne se détachaient pas de son encolure. Ce paysage si harmonieux semblait refléter la conscience de la forêt, son corps et son âme, le reflet de ses tréfonds inexplorés par les hommes. Kali galopait, ses muscles s’engourdissaient de fatigue et soudain, elle s’arrêta net devant un ravin plutôt profond. La louve y jeta un oeil et y vit un obstacle la séparant de sa liberté. Elle n’était sur que d’une chose à présent : ce qu’elle désirait plus que tout se trouvait après la bouche de terre devant elle. La jeune louve observa cet abîme de souffrance avant de prendre son élan et de tenter un saut. Cela lui paru une éternité pendant laquelle elle n’osa ouvrir une paupière. Ce n’est que lorsque ses pattes touchèrent le sol que Kali se ressaisit et se remit en marche sur ses membres fatigués.

Elle galopa ainsi jusqu’à ce que la nuit tombe. Alors elle demanda :

« Qui suis-je ? »

Et la forêt lui répondit d’une seule voix :

« Tu es l’enfant d’un homme et d’une forêt, tu es le fruit de l’amour sauvage et impossible de la nature et de l’humanité. Tu es ma fille. »

Aussitôt, un hurlement déchira la nuit, plus harmonieux que n’importe quelle symphonie, plus sauvage que les chevaux des plaines, plus révélateur et libérateur que n’importe quel cri.

C’était la mort d’une femme.

C’était la naissance d’une louve !

A la suite du sien s’élevèrent des dizaines d’autres hurlements, tous semblables et tous différents comme les hommes qu’elle avait maintenant oubliés, souvenirs emportés par l’immensité verte et chaleureuse qui l’accueillait comme une de ses branches. C’était le chant de la liberté qui arrivait enfin à ses oreilles.

Il plaidait le droit à la vie.

A la liberté.

A la différence.

Tout n’était qu’émotions dans cette nouvelle vie, la faim poussait Kali en avant, avec la meute qu’elle avait trouvé en s’enfonçant encore plus profondément dans la forêt. La forêt lui avait rendu son nom, mais gardait ses souvenirs sous clef. Chaque jour était encore plus beau que le précédent. Kali apprenait la forêt avec beaucoup de talents, sous l’œil avisé de mère nature et de l’alpha de la meute, son institutrice.

Un soir, elle apprit de son amie qu’un « homme » s’était aventuré sur le territoire des loups. Kali fut chargée de le faire déguerpir. Elle ignorait ce qu’était un « homme », mais d’après l’odeur de peur qui émanait de sa meute, un « homme » devait être effrayant. La louve partit donc, les pattes tremblotantes, à la recherche de l’intrus. Sa piste était claire, son odeur très nette. Elle se mit donc à courir, suivant le fumet nauséabond à travers les senteurs de chênes, de peupliers et de fleurs bourgeonnantes.

Lorsqu’elle trouva l’ « homme », Kali se remémora ses souvenirs perdus.

Elle s’appelait Kali Wolf et le garçon en face d’elle était Josh !

Il fixa les yeux de l’animal qui était soudain sortie des fourrés et reconnut son regard. On y lisait une profonde solitude, une tristesse insondable et de l’incompréhension s’était glissée entre les teintes vertes qui se mélangeaient dans ces iris.

« Kali… », souffla t-il à mi-voix, reconnaissant enfin l’expression de la jeune femme qu’il aimait.

Des perles salées apparurent au coin de ses yeux bleu-saphir infinis comme l’univers. La louve craignit de s’y perdre pour ne plus en sortir.

Elle s’approcha de son passé, en douceur.

Il leva une main qu’il posa sur la tête de l’animal d’or et d’argent.

« Je suis comme toi. »

Et la main devint une patte blanche. Josh Arnett était un loup, lui aussi.

Il cherchait la liberté et l’amour, lui aussi. Et il était comblé. Kali se blottit contre son flanc et il oublia sa vie humaine emportée, elle aussi par la forêt maîtresse de toute chose, faiseuse de pluie et de vie, de réconciliation.

De liberté et d’amour.

Cette forêt grandit sous les yeux du loup blanc, devint un cocon protecteur, en attente d’être déchiré pour qu’éclosent les fleurs des arbres. Alors que Josh et Kali rejoignaient la meute, leur deuxième famille, il leur semblait que les fleurs révélaient leurs pétales sur le chemin, embaumant les bois d’une senteur à nulle autre pareille. Elles saluaient leur amour, leur libération dans un intense cri de joie, traduit par l’appel des loups, l’appel de la forêt, de leur nature sauvage. Les dernières chaînes qui les rattachaient à l’humanité cédèrent et le nouveau couple s’en fut, emportés aux tréfonds de la nature. Alors le loup blanc demanda :

« Qui suis-je ? »

Et la forêt lui répondit d’une seule voix :

« Tu es libre. »

Sophie JACOBS – 15 ans

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Concours de littérature Nougaro  – Toulouse – 2014